ADN
Il m’a été rapporté qu’était projeté de pouvoir exiger d’une personne régulièrement présente sur notre territoire et désireuse de se faire rejoindre par sa famille de se soumettre, ainsi que cette dernière, à des tests ADN pour vérifier leur filiation.
Je dois avouer que je suis resté scotché, bouche bée devant ma tasse de café.
Je me suis d’abord demandé pourquoi. J’ai vite compris que l’immigration était en cause. L’éternel problème de l’immigration. Et ma première pensée fut que je n’avais jamais réellement compris ce problème que l’on nous jette au visage depuis des années.
En effet, il est là question de ne regrouper que des familles nucléaires, au sens où leur ADN correspond. Faute de quoi, pas de regroupement. On cherche donc à endiguer le regroupement familial de gens en situation régulière, pas seulement l’immigration illégale, ce que j’avais toujours candidement cru. On cherche à ne pas permettre l’arrivée de personnes ayant un parent sur le territoire, parent qui y demeure en parfaite conformité avec la loi. On cherche donc non seulement à endiguer ces flots, ces hordes de clandestins mais aussi les masses d’enfants, de femmes et d’hommes qui chercheraient à retrouver leur parents installés en France et qui se conforment a priori aux lois de la République…
Puis j’ai ensuite un peu cherché, me suis intéressé au phénomène proprement dit. Et surprise : qu’apprends dans « C dans l’air » (trop rare émission intelligente pour être occultée…) ? Le regroupement familial concernerait sept à douze mille personnes par an. La horde est, pour le coup, nettement moindre que ce à quoi je m’imaginais. Cela fut pareil pour le flux migratoire annuel. Oserais je dire que tout ça est insignifiant en comparaison des 61 millions d’habitants qui peuplent notre pays ? Aller, j’ose…
J’ai enfin synthétisé mes connaissances sur cette mesure : un test permettant de refuser l’accès au territoire à très peu d’étrangers (en définitive) ayant un parent en situation régulière ici… Et je me suis à nouveau interrogé. Est-ce une bonne mesure ? Est-ce un progrès ? Est-ce moderne ? Et la réponse m’apparut évidente : bien sur que oui, cela est très moderne. L’ADN, c’est sur, cela permet de résoudre des crimes et menus larcins (homicides, vols de scooter…), et de manière irréfutable. Mais c’est aussi très conservateur, à la limite du religieux. La famille vue par l’ADN est une famille vue au microscope, la famille de mes grands parents, voire des leurs… La famille d’aujourd’hui, de mon point de vue, dépasse les acides aminés qui peuvent la composer.
Je me suis mis à penser à l’adoption, à la famille recomposée que j’aurais pu former si j’avais déjà eu l’occasion de divorcer, à l’enfant que j’aurais pu reconnaître alors que je n’en suis pas le géniteur, à l’enfant dont j’aurais ignoré l’existence ma vie durant et qui se présenterait à moi demain… J’ai pensé à tous ces cas de figures qui font de moi un père alors que je n’ai jamais conçu cet enfant. J’ai pensé à tout ce que peut transmettre un père à un fils qui n’est, techniquement parlant, pas le sien.
Et je me suis rendu compte de la chance que j’ai d’être Français. De pouvoir faire tout cela sans avoir à me justifier d’une quelconque manière, sans avoir à donner de mon sang pour justifier du lien qui m’unira à mon fils, biologique ou non. Je me suis rendu compte de la chance d’être un national de cet Etat qui dispose d’une conception de la famille largement plus ouverte et surtout moderne que celle qu’il essaie d’appliquer à ces parents et enfants.
Voila pourquoi je vois cette disposition d’un mauvais œil, car elle peut briser des destinées, des histoires, des familles. Alors que je viens de me décider à vous écrire ces mots, j’apprends que l’amendement ADN a été modifié. Reste qu’il a été conservé, et en cela il n’est pas une évolution. Le conservatisme a gagné, l’égalité n’est plus qu’un mot, et la fraternité un mythe à mes yeux. Ce qu’il y a de plus dommage dans tout cela ? C’est un triste spectacle pour un jeune citoyen de bientôt 22 ans.
